#Construction

BTP Côte d’Ivoire – REFORME – Les laboratoires sont des acteurs clés des projets de construction

Les laboratoires sont des acteurs clés des projets de construction. A ce titre, ils portent une grande responsabilité dans la qualité des ouvrages issus des projets. Étant présent à toutes les étapes fondamentales du processus de construction, une défaillance du laboratoire met toujours en péril l’ensemble d’un projet. Dès lors, la question qui se pose à tout maître d’ouvrage, public ou privé, conscient de ses intérêts et responsabilités est de savoir “comment se prémunir contre ou à tout le moins mitiger le risque opérationnel géotechnique?

Confronté à cette question fondamentale, la solution qu’a retenue le gouvernement ivoirien a pris l’aspect d’une réforme que j’appelle la réforme Amédé-Bruno, des noms des ministres Amédé Koffi Kouakou pour le Ministère de l’Equipement et de l’Entretien Routier (MEER), et Bruno Nabagné Koné pour Ministère de la Construction, du Logement et de l’Urbanisme (MCLU), qui la portent.

En effet, depuis 2021 sous l’impulsion de ces deux ministères, des textes réglementaires ont été pris dont le dernier en date est l’arrêté n°00311/MEER/MCLU du 21 juillet 2023.

Dans cette lettre, je partage quelques points saillants sur les changements majeurs que cette réforme vient opérer et je livre quelques réflexions sur sa portée.

Le contenu de la réforme Amédé-Bruno

Ainsi, l’arrêté du 21 juillet 2023 marque l’aboutissement d’un processus de réforme, entamé il y a un peu plus de deux (02) ans, des activités des laboratoires géotechniques à travers l’instauration d’un régime d’agrément.

Avec l’entrée en vigueur dudit texte à compter de sa signature, ce sont dorénavant et en tout cinq (05) laboratoires qui ont la légitimité et la reconnaissance administrative d’ « effectuer les activités d’études, de contrôle et d’essais géotechniques dans le domaine du bâtiment et des travaux publics ».

Les listes ci-dessous indiquent leurs dénominations et les essais qui leur sont autorisés.

Le contexte réglementaire

« Promouvoir une administration moderne et performante » telle est la vision que s’est donnée le Ministère de l’Equipement et de l’Entretien Routier (MEER) et dont l’un des objectifs clés concernait cette réforme du secteur des laboratoires géotechniques.

Dans un contexte général tendu du fait de la défaillance de plusieurs ouvrages routiers, le renchérissement du coût de travaux d’ouvrages imputables par moment à des missions géotechniques mal réalisées et surtout l’effondrement, ces dernières années, de plusieurs bâtiments dans les principales villes du pays notamment Abidjan, l’Exécutif, à travers le MEER et le MCLU a bien perçu l’agacement croissant de l’opinion publique.

Ainsi, le premier temps fort du processus qui a conduit cette réforme fut notamment la signature du décret n°2021-352 du 07 juillet 2021 instituant un agrément pour l’exercice des activités des laboratoires d’études, de contrôle et d’essai géotechnique dans le domaine du bâtiment et des travaux publics.

Dans la même année, fut signé l’arrêté interministériel n°020/MEER/MCLU du 17 novembre 2021 portant modalité d’agrément des laboratoires d’étude, de contrôle et d’essai géotechnique dans le domaine du bâtiment et des travaux publics.

Des changements majeurs

Clairement, avec l’entrée en vigueur de l’arrêté du 21 juillet, le cadre d’exercice de l’activité de laboratoire se durcit. L’article 05 dudit arrêté exclut de toute participation dans la constitution de dossier technique de projets routiers ou de bâtiments, les laboratoires non-agréés.

Ce sont plus d’une dizaine d’entreprises dont notamment des noms connus de la place et d’autres moins qui sont concernés de fait par cette exclusion. En effet, depuis 2011 avec la reprise des investissements en infrastructures, ce segment de marché a connu l’entrée de plusieurs structures attirées par la forte demande.

Au regard du poids de la commande publique dans le marché de la construction, c’est un énorme manque à gagner pour les laboratoires non agréés mais c’est aussi un énorme marché qui est créé au profit des inscrits au tableau. Ces derniers pourront-ils répondre qualitativement à la demande du marché?

J’entrevois enfin, un autre changement, plus insidieux cette fois-ci, car d’ordre juridique. Il s’agit de l’instauration, peut-être involontairement, d’un mécanisme de partage de la responsabilité juridique face au risque opérationnel géotechnique entre le laboratoire, le maître d’ouvrage et l’Etat. En effet, que se passerait-il si sur un chantier, survient un sinistre ou une dégradation précoce dont l’enquête indique une défaillance d’origine géotechnique imputable au laboratoire agréé? Si avant la réforme il était évident que la responsabilité juridique ne pouvait être partagée qu’entre le laboratoire et son commanditaire, dorénavant, il serait assez cohérent de voir des avocats poursuivre aussi l’Etat qui aura délivré l’agrément au laboratoire fautif.

Limites de la réforme Amédé-Bruno

Ça y est. La réforme Amédé-Bruno est maintenant là. Mais il ne faudrait pas penser qu’elle est la panacée aux phénomènes qui nous embête pour trois raisons.

Premièrement, l’agrément délivré est avant tout une reconnaissance administrative. Il indique que son titulaire a été évalué par un processus administratif dont il a satisfait les exigences et qui lui reconnaît par conséquent le droit d’opérer sur des projets de construction. En l’occurrence, on peut lire dans l’arrêté n°020/MEER/MCLU du 17 novembre 2021 en son article 02 que tout laboratoire public est d’office agréé. Raison pour laquelle le Laboratoire du Bâtiment et des Travaux Publics (LBTP) l’est. Ainsi, l’agrément ne présume pas a priori de la compétence technique du laboratoire. Ce point relève de l’accréditation qui doit être encouragée vivement par la puissance publique auprès de tous les laboratoires agréés.

Par ailleurs, la réforme dans son état actuel suscite des externalités dont la plus évidente est de type économique, notamment le risque oligopolistique. En effet, sur un marché, on dit que la concurrence est parfaite, lorsqu’un grand nombre d’entreprises propose un même produit à un prix identique et qu’aucune d’entre elles ne dispose individuellement d’un pouvoir suffisant pour modifier les prix du marché. A l’inverse, la concurrence est imparfaite lorsqu’un petit nombre d’entreprises domine le marché et a la capacité d’influencer seul les prix à la hausse ou à la baisse. On qualifie ce groupe d’oligopole.

Dans le cas d’espèce, l’instauration de l’agrément engendre une barrière à l’entrée de type réglementaire contre d’autres arrivants, au profit des inscrits au tableau d’agrément. Ce faisant, elle met en place les conditions d’une prise de contrôle oligopolistique par les cinq (05) laboratoires, inscrits au tableau, sur un énorme marché protégé à leur seul bénéfice. Une telle configuration va assurément contre les intérêts du contribuable.

En conséquence, pour mitiger ce risque, il y a donc nécessité d’exiger une contrepartie. Ma proposition de solution revêt deux dimensions : régulation économique et régime fiscal spécial. Ainsi, il faudrait, d’une part, mettre en place une surveillance des prix des services de laboratoire par exemple par la Commission de la Concurrence et de la Lutte contre la Vie Chère. D’autre part, l’agrément devrait être associé à un régime fiscal spécial qui incite les laboratoires agréés à faire plus d’investissement en capital et en compétence avec des quotas minima annuels à respecter sur toute la durée de l’agrément. Les entreprises qui ne l’atteignent pas auraient à payer un impôt sur le bénéfice au taux usuel (25%) majoré d’une prime (+5% par exemple) pour non-performance d’investissement.

La réforme : ce qu’il ne faut pas lui faire dire

Voici maintenant plusieurs lignes que nous explorons la réforme. Il faudrait conclure. Mais avant de conclure, un dernier point mérite d’être souligné. C’est notamment celui du champ d’application de la réforme.

Sauf erreur de ma part, en hiérarchie des textes administratifs, un décret est supérieur à un arrêté. Il l’est encore plus quand l’arrêté est son application. Aussi, ce sur quoi le premier ne porte-t-il pas ne peut être adressé par le second.

Dans le cadre de la réforme du secteur des laboratoires géotechniques, le décret indique le champ d’application quand les arrêtés viennent préciser les modalités d’application dans le cadre de ce champ. Or, le champ d’application du décret est circonscrit aux marchés publics comme le stipule ses articles 02 & 04.

En conséquence, sont exclus que des marchés publics en qualité de laboratoire principal ou sous-traitant, les laboratoires qui ont échoué à obtenir l’agrément qu’importe la raison.

Le corollaire du point précédent est que les laboratoires non-agréés pourraient toujours opérer légalement et légitimement sur tous les marchés non-publics, notamment privés. Un chantier de R+19 financé sur fonds privés par exemple est hors du champ d’application sauf si le maître d’ouvrage en décide autrement sur son projet.

Quelqu’un pourrait dire que dans ce cas la réforme ne va pas donner les résultats escomptés si les marchés privés sont libres de contracter avec les laboratoires qui leur sied. Je dirai certes. Mais si les externalités de la réforme comme le risque oligopolistique sont maîtrisés par l’Etat, alors tout maître d’ouvrage aurait toutes les raisons de consulter le tableau d’agrément pour ses projets. Parce qu’il saurait d’une part que les prix sont surveillés et donc que son budget pourra supporter les frais et d’autre part qu’en optant pour un laboratoire agréé par l’Etat, la responsabilité civile comme pénale du risque opérationnel géotechnique ne repose plus sur sa tête à lui, mais aussi sur le laboratoire agréé à travers son dirigeant et aussi l’Etat qui a délivré l’agrément.

Conclusion

Avec l’entrée en vigueur de l’arrêté n°00311/MEER/MCLU du 21 juillet 2023 indiquant le tableau des laboratoires géotechniques agréés, la réforme Amédé-Bruno du secteur des laboratoires géotechniques s’achève.

Cette réforme est une tentative de solution face à l’épineux problème épineux de la défaillance des ouvrages de génie civil aux conséquences bien trop souvent dramatiques.

Elle offre plus de responsabilité aux laboratoires agréés sur les risques opérationnels géotechniques mais comporte quelques limites notamment le risque oligopolistique qu’elle suscite aujourd’hui.

Cependant, il vaut toujours mieux une action que le statu quo. Mon souhait est donc qu’elle soit accompagnée à court et moyen terme, d’une évaluation de son efficacité technique et de son efficience économique.

Ressources consultées

https://dessinemoileco.com/wp-content/uploads/2018/05/DMETexte_Monopole.pdf

Ceci se fermera dans 20 secondes