BTP Côte d’Ivoire – Energie – Awa et les charbonnières de San Pedro
BATIRICI| Le Monde Afrique | 15.02.2020
A l’entrée de la ville du sud-ouest ivoirien, deux cents femmes fabriquent du charbon de bois, en attendant d’être expulsées.
Awa Diabaté (au centre), remplissant un sac de charbon de bois, et des charbonnières à l’entrée de la ville de San Pedro, la métropole du sud-ouest ivoirien, en février 2020. YOUENN GOURLAY
Autour d’elle, tout est noir. Du sol mou et chaud sur lequel elle s’active au foulard qui couvre ses cheveux. Même son regard est assombri par les cendres, comme les mots qui racontent son quotidien couleur de suie. Awa Diabaté est l’une des deux cents charbonnières installées à l’entrée de San Pedro, la métropole du sud-ouest ivoirien.
à, entre les eaux bleues du fleuve et le bois, cela fait dix ans que l’Ivoirienne de 44 ans veille sur ses fours afin que la température s’y maintienne. Si elle monte trop, elle enflamme la matière première, au risque de la réduire en cendres et de laisser consumer la marchandise… Alors toutes les heures, Awa la charbonnière vient « réveiller » son four.
Ici, pas de sophistication superflue : un monticule de copeaux de bois achetés dans la scierie voisine et durci par une bonne dose d’eau fait office de four. Elle y a creusé un tunnel où sont placées les petites bûches, chauffées à la juste température pour que l’humidité et les matières végétales du bois s’évaporent. La combustion terminée, il ne reste donc que du carbone, du charbon.
Mais, à chaque combustion, la fumée toxique brûle les yeux et envahit les poumons d’Awa. La mère de famille s’intoxique lentement faute d’alternative : « Sans argent pour investir et faire du commerce, avec des maris sans travail ou partis, on n’a pas vraiment d’autre solution. Il faut bien que nos enfants aillent à l’école… » La porte-parole de l’association des charbonnières parle au pluriel. Et au féminin. « Car si les femmes travaillent ici, c’est parce que tous les hommes sont partis pendant la guerre, en 2002. Ils ont fui ou regagné leur pays, le Mali, le Niger. Alors, nous les femmes, on a pris le relais pour survivre », poursuit-elle.
« On souffre ici »
Awa et les autres charbonnières ne portent aucune protection : ni masque, ni gants, ni chaussures fermées. Et leurs bras sont marbrés de cicatrices. « Avec toutes ces saletés, j’ai attrapé la fièvre typhoïde. Ma toux me fatigue et j’ai mal partout : au dos, à la tête, aux pieds, raconte-t-elle. Les bons mois, on va à l’hôpital. Sinon, on prend juste des comprimés. »
A la fin de la journée, le bénéfice se calcule par four. Avec plusieurs dizaines de petites bûches fabriquées quotidiennement, Awa peut espérer gagner 5 000 à 10 000 francs CFA (entre 7,5 et 15 euros) par semaine. Mais, pour cela, elle surveille plusieurs fours à la fois, profitant que la demande en charbon de bois reste forte. C’est une source d’énergie moins chère que le gaz pour les cuisinières d’alloco et de poissons braisés des marchés de la ville.
A ses côtés, Fanta, son amie et voisine de toujours, a la mine des mauvais jours. Les yeux rougis par la fumée, elle se dit « épuisée ». Assise sur une barrique d’eau la tête posée sur le manche de sa pelle, elle implore : « Tu as vu mes habits, ils sont tout déchirés. On n’a pas les moyens, notre travail est précaire, on souffre ici. »
« Personne ne s’intéresse à nous »
Dans les allées brunies, des dizaines d’enfants de tout âge aident leurs parents. Un tout-petit tire un bidon en plastique rempli de branches, une adolescente s’apprête à partir vendre le charbon au marché et un groupe s’amuse dans cette cour de récré toxique qui s’étire sur des centaines de mètres. Awa et Fanta, elles, se sont juré que leurs enfants ne feraient jamais ce métier. Qu’ils iraient à l’école et suivraient un autre modèle. Quitte à se tuer à la tâche. « J’ai commencé quand mon fils était en CE1, aujourd’hui il est en terminale. Je fais tout pour l’aider, on ne peut pas abandonner nos enfants », s’exclame Awa, mère de cinq garçons.
Des opérations ont été menées pour les déguerpir, mais les charbonnières sont toujours revenues. « C’est l’entrée principale de San Pedro. Pas très engageant d’entrer dans une ville en découvrant ce spectacle, justifie Félix Anoblé, le maire. Nous allons les envoyer dans une autre zone plus éloignée, en forêt. On installera des fours modernes et elles travailleront dans de meilleures conditions. » En fait, il a surtout « demandé à ces dames de partir d’elles-mêmes avant le 28 février » et prévenu que « passée cette date, on les fera partir de force ».
En attendant, sur la voie principale de San Pedro, les véhicules continuent de passer indifférents au sort de ces femmes. « Personne ne vient jamais nous voir, personne ne s’intéresse à nous », regrette Awa. Une indifférence qui n’empêche aucune d’entre elles de porter de belles boucles d’oreilles, fines et brillantes, et de rappeler que, même dans la noirceur du charbon, elles restent des femmes.
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