BTP AFRIQUE – Architecture : l’Afrique se distingue aux Global LafargeHolcim Awards
SOURCE | Le Point Afrique | par ROGER MAVEAU | 25.04.2018
Deux projets au Niger et au Ghana ont été récompensés lors de la cinquième édition du plus grand concours d’architecture durable au monde.
© LafargeHolcim Foundation
Pour la première fois, trois projets menés par des femmes au Mexique, au Niger et aux États-Unis ont remporté les Global LafargeHolcim Awards 2018 pour la construction durable du cimentier franco-suisse LafargeHolcim, dont la fondation est l’initiatrice du concours. « Bien que ce point n’ait pas été pris en compte pendant l’examen des dossiers, le jury était ravi de constater la part importante et le succès des femmes dans les LafargeHolcim Awards », a précisé le président du jury, l’architecte chilien Alejandro Aravena, qui a confirmé la forte participation et le taux de réussite élevé des architectes professionnelles ou étudiantes dans ce concours.
Le prix d’argent a honoré le projet « Legacy Restored », un complexe à la fois religieux et laïc au Niger associant une nouvelle mosquée et un centre communautaire, tout en revisitant l’architecture traditionnelle. Les architectes Mariam Kamara et Yasaman Esmaili ont imaginé un espace citoyen ouvert aux habitants du village de Dandaji dans la région de Tahoua, favorisant ainsi l’éducation des femmes et leur présence au sein de la communauté. Ce projet qui met en lumière l’artisanat local, les techniques de construction traditionnelles et les matériaux produits sur place a grandement impressionné le jury comme l’indique Alejandro Aravena : « L’utilisation de l’architecture comme instrument pour rétablir la dignité des communautés rurales fragiles et dépeuplées par l’exode rural a été l’une des principales motivations qui ont présidé à l’attribution du prix d’argent au projet du Niger. »
Mariam Kamara, étoile montante de la nouvelle génération d’architectes africains
Mariam Kamara œuvre pour un renouveau architectural en Afrique, répondant aux besoins des populations grâce à des solutions adaptées aux techniques locales. « Le fait de copier l’architecture occidentale n’est pas raisonnable pour nos réalités et nos climats. La modernité ne doit pas être confondue avec l’occidentalisation », insiste-t-elle. Après avoir grandi au Niger, elle poursuit aux États-Unis ses études en informatique avant de réaliser son rêve : « J’ai succombé à la pression familiale qui me poussait à devenir ingénieure ou scientifique. Mais le cœur n’y était pas, alors j’ai tout arrêté et repris mes études pour obtenir un diplôme d’architecture », détaille Mariam Kamara, qui a fondé le bureau d’architecture Atelier Masōmī, « le début » en haoussa. Elle supervise ses projets africains depuis Rhode Island et enseigne l’urbanisme à l’université Brown mais avoue : « Mon âme est restée bloquée au Niger ! Toutes mes réflexions et tous mes efforts sont tournés vers les problèmes de notre région, mais aussi vers la valorisation de nos richesses. » Comme pour son projet Niamey 2000, des logements abordables construits avec des matériaux traditionnels, car « dans des pays en développement qui ont du mal à tenir économiquement, une architecture responsable est nécessaire : il est irresponsable de construire avec du métal ou du ciment qui emprisonnent la chaleur, alors que les températures atteignent souvent 45 degrés ». Le starchitecte anglo-ghanéen David Adjaye ne s’y est pas trompé en la choisissant dans le cadre du Programme Rolex de mentorat artistique 2018-2019. Ce dernier réunit de jeunes talents et de grands maîtres dans leur discipline respective pour une année de collaboration.
Une surprenante équipe sud-coréenne à la manœuvre au Ghana
Autre innovation, la dernière édition des Global LafargeHolcim Awards a récompensé également trois projets pour leur idée remarquable en leur attribuant les LafargeHolcim Awards Ideas. Ces prix ont été décernés ex æquo pour les projets « Refrigerating Jar » au Ghana, « Cooling Roof » en Californie et « Territorial Figure » en Argentine. Les architectes sud-coréens Wonjoon Han et Gahee Van du studio VHAN, ainsi que Sook Hee Yuk à l’origine de l’ONG Group for Women, anciennement Make Africa Better, ont conçu des tours dont l’esthétique évoque l’architecture traditionnelle à Nyngali, dans le district de Karaga au nord du Ghana. Les silos inventés sont dotés d’un système de refroidissement passif pour entreposer le beurre de karité qui améliore la viabilité économique. Avec son association, Sook Hee Yuk aide les communautés féminines défavorisées à produire du beurre de karité certifié bio de grande qualité : « à Nyngali, il n’y a que deux femmes sur les 700 qui ont terminé l’école secondaire. L’une les représente et l’autre est la seule à parler anglais, la langue officielle du Ghana. L’argent des noix de karité est une des rares sources de revenus pour ces femmes ». En effet, le taux de pauvreté des trois régions du nord est deux à trois fois plus élevé que la moyenne nationale. Comme le note Sook Hee Yuk : « Ces mères savent à quel point l’éducation est importante pour leurs enfants et ce pécule leur permet de payer les frais de scolarité et les soins médicaux. »
Un prestigieux concours pour la promotion de l’architecture durable
Des quatre coins du monde, pas moins de 5085 dossiers issus de 131 pays ont été examinés par les jurys indépendants des cinq régions participant au concours (l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Amérique latine, le Moyen-Orient Afrique et l’Asie-Pacifique) pour aboutir à six lauréats. Membre du jury, l’architecte germano-burkinabé Diébédo Francis Kéré voit les projets récompensés comme des modèles à suivre : « Ce sont des chefs-d’œuvre qui révèlent le potentiel que recèlent la conception et la construction durables ». Le prix d’or a été attribué au projet « Hydropuncture » implanté dans un secteur défavorisé de Mexico, de l’architecte Loreta Castro Reguera. Il propose une installation de traitement et de retenue des eaux ainsi que des aménagements publics en suivant le cours naturel de l’eau. Le prix de bronze a été décerné au projet « Grassroots Microgrid » de Constance Bodurow, fondatrice d’un collectif d’architecture interdisciplinaire, qui convertit à Détroit des parcelles désaffectées en équipement collectif de production énergétique et maraîchère avec l’engagement des riverains. « Les projets récompensés par les Global Awards s’inscrivent dans une démarche de complémentarité. Ils proposent des modèles pour les mégalopoles, les communautés urbaines et les villages ruraux isolés », explique Alejandro Aravena en concluant : « Ils sont révélateurs de deux tendances dans le discours sur le développement durable, la priorité donnée à l’infrastructure et aux nouvelles formes d’appropriation des méthodes de construction traditionnelles. »
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